Tour d’horizon des applications planétaires de la géodésie et la géophysique

Une version plus complète de cet article est parue en versions web et imprimée dans la Lettre Résif n°17 de janvier 2020.

Le colloque annuel 2019 du groupe G2 « Géodésie – Géophysique » s’est tenu à l’École Supérieure d’Ingénieurs Géomètres et Topographes située au Mans, du 20 au 22 novembre 2019. Cette édition 2019 a accueilli une session particulièrement appréciée par les congressistes, consacrée aux applications de la géodésie et la géophysique pour l’étude des autres planètes et des petits corps du Système Solaire. Bien que l’étymologie des termes « géodésie » (diviser, partager la Terre) et « géophysique » (physique de la Terre) renvoient à la seule étude de notre planète Terre, les applications planétaires de ses dernières constituent actuellement un panel d’outils d’investigation essentiel au service de la planétologie comparée.

Comme l’explique Pascal Rosenblatt du Laboratoire de Planétologie et Géodynamique de Nantes (UMR CNRS 6112) et animateur de cette session aux côtés de Joëlle Nicolas du Laboratoire « Géomatique et Foncier » (EA Cnam 4630), la géodésie spatiale est la méthode d’investigation la plus utilisée pour la structure interne des planètes telluriques du Système Solaire et de ses petits corps. Cette méthode utilise des satellites artificiels, orbitant autour des planètes, dont la trajectoire est suivie de façon minutieuse grâce à la mesure du décalage Doppler de la fréquence d’un lien radiofréquence entre ces satellites et la Terre. L’orbite des satellites martiens de la NASA a été rendue avec une incertitude de 2 m à partir de ces mesures de poursuite Doppler (notamment traitées à l’aide du logiciel GINS « Géodésie par Intégrations Numériques Simultanées » du CNES). Le champ de gravité martien a été restitué avec une résolution de 110 km, ainsi que ses variations saisonnières et le potentiel de marée via les nombres de Love. Si le satellite en orbite embarque également un altimètre laser comme dans le cas de la Lune avec LRO, il devient possible de déterminer les déformations de la surface dues aux marées.

La technique du lien radiofréquence peut également s’appliquer pour restituer le champ de gravité en mesurant les variations de distance entre deux satellites en orbite. Ce principe, déjà mis en œuvre sur les missions GRACE pour la Terre, a été appliqué à la Lune avec la mission GRAIL aboutissant à une résolution spatiale de 25 km. Fort des avancées récentes sur la technologie des nano-satellites de type « CubeSat », la mission BIRDY de l’IMCCE étudie la technique du lien radiofréquence pour l’étude de la structure interne des petits corps du Système Solaire. La perturbation mesurée dans ce cas est celle de la trajectoire du nano-satellite lors de son survol de l’objet.

Lorsque la planète dispose d’atterrisseurs à sa surface comme Mars avec les récentes missions InSight (Nasa, 2018) et ExoMars (ESA/RosCosmos, 2020), la technique radio-science permet de mesurer son mouvement propre (variations de sa vitesse de rotation et de l’orientation de son axe de rotation dues à la précession, aux nutations et librations). Les missions InSight et ExoMars ont été dotées des transpondeurs radiofréquences RISE (« Rotation and Interior Structure Experiment ») et LaRa (« Lander Radioscience ») dans ce but. Exemplaire en termes d’instrumentation, InSight embarque également le sismomètre de grande sensibilité SEIS, qui est utilisé comme gravimètre en vue d’étudier in situ la marée induite par Phobos.

L’exploitation pour la géophysique des produits de la géodésie s’appuie sur l’analyse conjointe des modèles de champ de gravité et des nombres de Love. Elle conduit à des estimations de la taille et de l’état physique du noyau, de la viscosité du manteau, de l’épaisseur de la croûte et de la lithosphère, des transferts de masse dans l’atmosphère qui sont très utiles pour répondre aux questionnements sur la formation et l’évolution des planètes et de leurs atmosphères. Le dynamisme de la géodésie spatiale est soutenue par le nombre croissant de missions programmées dans les agences spatiales du monde entier et la variété des objets d’étude (voir figure). Nul doute que des avancées déterminantes sur la compréhension de notre Système Solaire viendront de cette science passionnante.

Jérôme Verdun, Pascal Rosenblatt, Joëlle Nicolas

Chronologie de la sélection et du lancement de missions de géodésie spatiale dédiées à l’étude du Système Solaire © Pascal Rosenblatt